MUM AND THE GARDEN: CHRYSALIS

2019-2020
60 photographies
Formats variés


Dans ce jardin qui longe l’Orge, du département de l’Essonne, ma mère paille des endroits du sol à l’automne et fait des buttes forestières, pour que ça travaille tout l’hiver et que les vers de terre commencent à venir. Elle aime voir s’installer les plantes simplement dans le jardin — et il y a des tomates l’été, des cucurbitacées en automne. Elle dit qu’elle s’entend bien avec les taupes et que c’est un peu un jardin punk… ce que n’apprécie guère un des voisins pour qui un « petit coup de Roundup ferait des merveilles » parce que « la nature doit être maîtrisée et domptée avant qu’elle ne se retourne contre vous ».
À l’opposé d’une telle conception, Mum and the Garden: Chrysalis nous présente un écosystème en gestation peuplé de chrysalides en métamorphoses, où l’on ne trace plus vraiment les frontières entre l’humain et le non-humain. Il y a bien ce quelque chose du corporel s’hybridant au végétal, une danse aux pieds nus — un récit de science-fiction où le vert se lie au noir. La chrysalide, cet état intermédiaire entre celui de la chenille et celui du papillon, motif métaphorique, nous rappelle cette vulnérabilité : notre propre implication à l’intérieur d’un écosystème dont on dépend et dont on se pense à tort comme maître et possesseur.
Et c’est dans une joie créatrice certaine, teintée d’une inquiétante étrangeté, que se déploie un univers nocturne inspiré de figures de monstres, chimères, sorcières et de pensées écoféministes. Ma mère, quand j’étais petite, m’avait confectionné un déguisement de sorcière et puis un de Flore, un pied de nez aux déguisements de princesse. Aujourd’hui, ils sont métamorphosés en chrysalide, d’un imaginaire à l’autre, partagé et réinventé — moi à 25 ans, elle à 53 ans — comme une manière de tisser du lien, dérouler le fil du cocon. Mum and the Garden: Chrysalis a été réalisé au cours de deux étés, 2019 et 2020, une expérience à quatre mains — le temps intime du mûrissement enfoui de la terre sous le foin, la jachère hivernale.
C’est une invitation à une imagination radicale, presque libératrice, qui nous parle de ces liens que l’on a au vivant, au monde, et de ceux que l’on peut encore réinventer face à la dévastation écologique. Cet itinéraire visuel en métamorphose constante est une manière d’éprouver cette interdépendance : faire ce voyage commun dans l’obscurité. Rêver l’obscur.


































































Création sonore, 8’10,
Après le temps intime du mûrissement enfoui de la terre sous le foin


C’est le réseau vivant à partir duquel notre individu, nos existences distinctes, se sont érigés et dans lequel nous sommes entrelacés. Nos vies se déploient au-delà de notre peau, et en interdépendance radicale avec le reste du monde. […] Notre peine pour le monde est enracinée dans notre interdépendance avec toute vie. […] Nous naissons dans ce réseau et, en même temps, nous voyageons dans sa direction.
Joanna Macy


On a besoin de la nuit pour voir le jour. On a besoin de la nuit pour reconnaître notre maison. Quand j’ai vu la voie lactée se lever, c’était tellement gros que j’en ai oublié toutes les journées de la vie, pourtant il n’y avait rien pour m’éblouir, seulement des soleils qui racontaient des histoires anciennes qu’on peut décrypter en s’efforçant de comprendre la langue du sentiment. C’est dans cette langue que j’ai appris à habiter la nuit, les bois, le monde. C’est dans cette langue qu’il faut écrire courageusement sur une grande feuille noire interminable. Il faut se rendre à l’évidence que l’émerveillement sur cette planète passera par la nuit. Je veux dire, l’émerveillement, le vrai, le seul qui soit, est nocturne.
Pattie O’ Green


Vue d’exposition à Chez Mamie, Sens (2021)
120x80 cm, tirages textiles, soie synthétique

Vue d’exposition à Le Studio, Paris (2021)
30x45 cm, tirage jet d’encre contrecollé sur dibond



Vue d’exposition à Le Studio, Paris (2021)
30x45 cm, tirages jet d’encre contrecollés sur dibond

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Vue d’exposition à Université Paris 8, Saint-Denis (2022)
40x40 cm, tirages jet d’encre contrecollé sur dibond

120x80 cm, tirages textiles, soie synthétique


Vue d’exposition à Université Paris 8, Saint-Denis (2022)
40x40 cm, tirages jet d’encre contrecollé sur dibond
120x80 cm, tirages textiles, soie synthétique

Vue d’exposition à Université Paris 8, Saint-Denis (2022)
40x40 cm, tirages jet d’encre contrecollé sur dibond
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Vue d’exposition à la galerie Sono, (2022)
120x80 cm, tirage textile sur soie synthétique


Vue d’exposition à la galerie Sono, (2022)
Chrysalide en crochet, Idelette Dupond (Mum)
Issue de l’oeuvre collaborative “Après le temps intime du mûrissement enfoui de la terre sous le foin”, 2022,
Isaline Dupond Jacquemart & Idelette Dupond

Vue d’exposition à la galerie Sono, (2022)
Tirages contrecollés sur dibond 50 x 50 cm et 40 x 60 cm 
Installation “Après le temps intime du mûrissement enfoui de la terre sous le foin”, 2022,
Création sonore, 8’10 et chrysalides en crochet
Oeuvre collaborative, Isaline Dupond Jacquemart & Idelette Dupond

Vue d’exposition à la galerie Sono, (2022)
Tirages contrecollés sur dibond 50 x 50 cm et 40 x 60 cm


Vue d’exposition à la galerie Sono, (2022)
Chrysalides en crochet, Idelette Dupond (Mum)
Issues de l’oeuvre collaborative “Après le temps intime du mûrissement enfoui de la terre sous le foin”, 2022,
Isaline Dupond Jacquemart & Idelette Dupond


Ce jardin « sauvage » qui sert de décor, ou peut-être accepte d’accueillir Isaline et sa mère pour laisser s’épanouir leurs réflexions, reste, d’un point de vue très concret le lieu de vie d’Idelette, sa « chambre à soi » selon la logique de Virginia Woolf. (Re)venir dans l’environnement maternel — symboliquement et physiquement — équivaut pour Isaline à humblement revenir sur les pas de son identité en acceptant de s’imprégner de nouveau de tous les codes de transmission opérés par sa mère et l’environnement familial. Iel (re)devient chrysalide en retournant psychologiquement au « stade intermédiaire entre la larve et l’imago », au « stade final de la mue, c’est-à-dire l’âge adulte. », « au passage de la chenille au papillon », « au développement des ailes et de l’appareil génital. » (Jacqueline Schaeffer).

En tant que mère, créer un costume symbolisant le renouveau — dont l’enfantement — insiste sur la dimension généalogique et transmissive du lien avec l’enfant. Dissimulée sous un costume de sa propre confection, Idelette — sous la forme d’une chrysalide — devient le sujet de l’oeil observateur de son enfant, enfant qui portait autrefois le costume. Rapport de force inversé ou imaginaires « partagé[s] et réinventé[s] », l’idée même du lien maternel et du cycle de la vie qui peut passer par la maternité, mais aussi par la transmission de savoirs, de valeurs et de souvenirs est entièrement remise en question : à 53 ans la mère se déguise et se transforme, à 25 ans l’enfant dispose les éléments et les photographies de son oeil nouveau. Si les tissus synthétiques dont est fait le costume contrastent largement avec les feuilles et les plantes naturelles, les couleurs de ces mêmes tissus offrent une perspective d’analyse nouvelle de l’image. La composition d’ensemble, tout éléments confondus, propose une gamme de couleurs restreinte au rose et au vert — le fond noir n’est ici pas pris en compte —, qu’il s’agisse du costume ou des éléments naturels.
Dans la logique du cycle naturel, les végétaux comme les humain·e·s ou les animaux naissent, grandissent, donnent éventuellement naissance à d’autres végétaux, humain·e·s ou animaux, puis, après une vie plus ou moins longue, meurent. Dans le[s] photographie[s] réalisée[s] par Isaline, les végétaux morts ou séchés ont leur place comme les vivants, ils n’ont pas subi « un petit coup de Roundup [herbicide total produit par la compagnie étasunienne Monsanto] » comme le voisin mentionné plus haut l’avait recommandé. En respectant le cadre naturel dans lequel sa mise en scène prend place, l’artiste admet une esthétique qui dépasse son contrôle. Tandis que la tulle verte qui entoure une partie du corps d’Idelette fait écho aux plantes qui l’entourent, les fausses fleurs aux teintes plus chaudes roses et orangées dialoguent, elles, avec les plantes dont le cycle de vie s’est achevé. En plaçant des faux éléments naturels — se voulant vraisemblables en tant que costume — dans un environnement réellement composé d’éléments naturels vivants, la discordance entre les deux est pleinement assumée et marque même l’acceptation que, si les cycles naturels et féminins possèdent des similitudes, la socialisation de l’humain·e et son évolution technique et intellectuelle ont transformé les règles de procréation qui n’ont aujourd’hui plus grand-chose en commun avec la naissance et la mort des écosystèmes naturels.

Ainhoa Bourgeois
Commissaire de l’exposition “Manger les fleurs, galerie Sono, juin 2023.
Extrait de son mémoire “Récit d’une exposition, cycles, alternatives et spiritualités”.
Sous la direction d’Anne Creissels, Université Paris 8.


Vues d’exposition à Chapelle XIV, Paris, (2023)
120x80 cm, tirage textile sur soie synthétique
Crédits photo : Romain Darnaud